« Raphael ! Arrête de te balancer sur ta chaise ! »
« Chloé ! Retourne toi, le tableau, c’est de l’autre côté… »
Combien de fois ai-je répété ce genre de commandement lorsque j’officiais dans les salles de classe si uniformément disposées. Le mouvement, c’était mon ennemi d’alors. Derrière lui, se massaient les hordes de jugement, comme des bataillons de viking hirsutes et toujours prêts à frapper :
« - Je ne les intéresse pas,
- Ils bougent parce qu’ils ne sont pas concentrés,
- Ce que je leur propose les ennuient
- Ils me provoquent,
- Ils ne m’aiment pas,
- Mon cours est nul, je suis mauvais… »
J’avais développé une sensibilité accrue, comme le meilleur des radars, pour traquer, débusquer et éliminer toute velléité de mouvement sur le terrain de bataille de ma salle de cours. Pourtant, derrière l’immobilité apparente que mes efforts quotidiens aidaient à faire progresser, je sentais bien que la conquête des apprentissages allaient se dérouler autrement. L’art du stratège est de savoir poser les questions et remettre en cause les certitudes.
Pourquoi les enfants bougent-ils ?
A partir de quand le mouvement prend-il les commandes de mes élèves ?
Y aurait-il une utilité, un lien entre le mouvement et les apprentissages ?
Et moi ! Pourquoi est ce que je n’ai pas besoin de bouger ?
C’est en tentant de répondre à cette dernière question que m’est venue à la conscience une évidence. En réalité, pendant une heure de cours, j’étais le seul dans cet espace classe à pouvoir me lever, aller et venir à ma guise, tourner ma tête de droite, de gauche, en toute liberté et sans contrainte. Ainsi donc, l’immobilité que je croyais être la source de l’attention serait juste pour les autres et pas pour moi ! Mais c’est vrai que j’ait toujours bougé moi aussi.
Et depuis quand ?
Depuis toujours… Enfant, j’ai commencé mon exploration du monde en gigotant. C’est comme cela d’ailleurs qu’Homo Sapiens apprend. En encodant chaque mouvement dans son cerveau. Au départ, le mouvement est préconditionné dans le système cérébral. Le bébé bouge de manière automatique, involontaire, réflexe. Petit à petit, la maitrise apparait, l’enfant conscientise son corps et parvient à bouger de manière volontaire. Vers l’âge de trois ans, la majeure partie des schémas moteurs principaux doit pouvoir être sollicitée de manière consciente. La motricité plus fine maturera avec la croissance et les habiletés deviendront de plus en plus précises et efficaces. Les enfants bougent donc pour accroitre leur potentiel. A l’instar d’un ordinateur, les versions successives du programme moteur vont permettre d’acquérir de nouvelles fonctions cérébrales. Notre cerveau est l’organe principal de traitement de l’information qui nous parvient par nos sens. L’erreur de notre société est de penser que nous avons cinq sens. Bien sûr, au départ, bébé tête, sent, touche, voit et entend son environnement. Et cela nous amuse, nous émerveille tellement ! Cependant, dans notre quotidien, deux de ces sens sont sur-stimulés : La vision et l’ouïe. L’homme est fasciné par la vitesse de la lumière, la vitesse du son. En fait, l’homme est fasciné par la vitesse. Il a trouvé le moyen de transmettre l’information à la vitesse de la lumière. Dès lors, le monde est ceint de récepteurs télévisuels et radiophoniques. Et l’école suit ce mouvement. En étant le lieu privilégié des transmissions orales et visuelles.
Pourtant, c’est négliger un de nos sens : l’équilibre. Le bon sens ! Parce que l’organe qui recueille les informations d’équilibre est invisible, nous oublions qu’il existe. Cet organe, dans l’oreille interne, c’est le système vestibulaire : le gyroscope de notre corps, celui qui indique au cerveau où se trouve le haut, le bas, la droite ou la gauche. Ce sens que vous mobilisez, à votre insu, depuis le début de la lecture de cet article. Vous savez, parce que vous l’avez appris, que dans notre système d’écriture, on lit de gauche à droite et de haut en bas. Le système vestibulaire est fondamental dans les activités cognitives, c’est à dire l’acquisition de nouveautés pour le cerveau. Il est particulièrement important dans les activités langagières et mathématiques. Alors oui, c’est normal, c’est même nécessaire que les jeunes le stimule, le réveille. Et plutôt que de hocher la tête façon Rain-Man, ils vont se balancer sur leur chaise, battre tranquillement du pied ou se tortiller du tronc.
Mais pourquoi attendent-ils d’être en classe pour le faire ?
Tout simplement parce qu’ils n’ont plus loisir de le faire en dehors, coincés dans les voitures, les transports en commun, prisonniers des longues plages assises dans leurs emplois du temps.
Ainsi donc, j’avais compris que je n’étais pas la cause de ce que je croyais être une défaite. Au contraire, plus les élèves essaient d’être attentifs, présents, impliqués, plus le mouvement s’exprime.
« -Général ! Nous sommes prisonniers d’un cercle vicieux. Comment en sortir ? »
Et si nous procédions différemment, comme dans les arts martiaux. Utilisons la force de l’adversaire, utilisons le mouvement pour apprendre. Plutôt que de le contraindre, laissons le s’exprimer. Mais pas n’importe comment. Il doit bien y avoir une stratégie ! Cette stratégie passe aujourd’hui par la pratique de techniques qui ont fait leurs preuves, comme la brain-gym.
Voilà! J’avais trouvé comment renverser la vapeur. Oui, il y a un lien entre mouvement et apprentissage. Ainsi donc, bouger c’est utile et même nécessaire pour apprendre. Les mouvements croisés par exemple, sont extrêmement importants pour mobiliser toutes les ressources du cerveau. Faire fonctionner simultanément les membres de chaque côté du corps pour activer les deux hémisphères cérébraux.
Mon ennemi, ce n’était pas le mouvement, mais l’ignorance. Maintenant que je peux le justifier, que j’en comprends les rouages, alors, oui, c’est devenu le plus fidèle allié de mon quotidien et de celui de mes élèves.
« -Oh ! Mathis, mais tu bailles à t’en décrocher la mâchoire ! Super. Est ce que quelqu’un a besoin, comme Mathis, d’oxygéner son cerveau ? »
Au passage, savez-vous que bailler, ça vient du vieux français et que ça signifie être ouvert? Rien que d’y penser, de voir ou d’entendre quelqu’un bailler, ça nous donne envie de faire pareil. D’un point de vue évolutif, cela est pertinent. Si mon voisin, mon camarade a besoin d’oxygéner son cerveau, il y a de fortes chances que moi aussi, j’en ai besoin. Ainsi, bailler tous ensemble contribue à la vigilance commune. Allez y, baillez ! Ce n’est pas moi qui vous en ferai le reproche...
Ecrit par David Cheynel - www.pedagogiepositive.bzh - Janvier 2019.